A l’arrivée dans la maison, fiston et moi retrouvions le bazar laissé en partant. Mes grands rangements n’étaient pas achevés et je les avais arrêtés, trop heureuse d’en sortir. Quand nous y étions constamment, nous nous en accommodions et là au retour d’un séjour en lieux ordonnés, le contraste était évident, ce fut même mon garçon champion du bazar qui m’en fit la remarque. Si nous nous mîmes d’accord sur un ouvrage coopératif, je me retrouvai rapidement lâchée avec la tâche de remédier à nos désordres, seule. De toute façon, la rentrée approchait et il était urgent de s’y mettre avant d’être débordée par le temps. Ma première décision fut d’en finir avec la cuisine.
D’abord, je décidai de débarrasser ce qui était ébréché et abîmé parce que nous méritions mieux. Ma mère m’avait mis la puce à l’oreille en évoquant des ouvrages de mosaïque avec de vases, plats, assiettes cassés à reconstituer sur d’autres supports. Le recyclage de mes vieilles assiettes, bols et autres était trouvé et inévitablement, une galerie défila dans ma caboche. Zou ! Dans un carton, je descendis les ébréchés à la cave et constatai que quelques ajouts de neuf étaient nécessaires. Je souris au constat que je n’avais pas d’intérêt pour la présentation (belle vaisselle d’apparat que j’ai plaisir à regarder et non à posséder) alors qu’au contraire, je multipliais les matériaux de fabrication et création alimentaire. Restait que mon rangement était insuffisant si je voulais éviter l’encombrement généralisé à ‘extérieur de mes quelques meubles.
Je farfouillais donc à tous les possibles. Les appels à récup, recyclage et voies de cet ordre n’aboutirent pas alors, je partis sur du neuf. Calculs, mesures et autres repérages au point, je me dirigeai vers une enseigne de bricolage pour chercher des éléments de cuisine à monter et installer soi- même (le coût de l’installation doublait le chiffre des seuls éléments) puis commandai une rangée à grande hauteur pour gagner un maximum de rangement. J’appelai à l’aide pour les fixer appréhendant les acrobaties et forces nécessaires à ce genre d’ouvrage. Si les bonnes volontés ne manquèrent pas, après une quinzaine sans suite concrète, je m’y mis lassée d’attendre le bon moment, la bonne heure, la proposition concrète d’aide. Comme d’habitude, dès que la volonté y fut, je ne me posai plus de question et m’y lançai vaillamment grimpant et déambulant sur l’évier, la cuisinière, la machine à laver envers et contre toute peur de chute. Quel exercice de conscience à l’acte quand la moelle épinière est blessée ! Vous pensez bien que je posais pieds et mains en écoute totale du corps à l’équilibre vacillant.
Dans un premier temps, je démontai mes installations d’origine (une longue étagère sur équerres). La lumière installée au mur par l’organisme- propriétaire me gêna longuement ; n’ayant pas de solution, je commençai à tâtons afin de prendre le temps de remédier à ce frein.
Prise de mesure ( avec mon mètre de couturière, logiquement...), marquage des trous de perçage, de niveau, initialement :
Perçage laborieux avec mes petits bras pas musclés dans des murs récalcitrants :
Tournevis à main, mise en place des fixations murales :
Forcément, malgré mes précautions, elles finirent de travers. Mes mains étaient au bord de l’explosion d’ampoules à force de frottements et d’efforts.
Là, je décidai de condamner la lumière mal placée pour mon projet : domino et scotch isolant à la rescousse.
Fiston collé à l’ordi ne lâcha rien quand je demandai à couper le courant ; je trouvai heureusement le bon fusible après avoir pesté et réclamé plus de coopération. Effrayé de me voir faire sans savoir que le courant était coupé judicieusement, il finit par donner un peu plus de cœur à l’ouvrage. Après les photos et deux tours de vis initiaux laborieux, il accepta de soulever les éléments montés sur les fixations avec moi ; sur les quatre caissons, il monta lennnntement le dernier.
Il fit le mariole avec des blagues à deux balles feignant de me pousser alors que nous étions en équilibre sur les éléments bas; me rattrapant lors d’une perte d’équilibre malvenue, il entendit mes demandes fermes de ne pas ajouter du risque à l’aventure où je m’étais lancée. Comme d’habitude, aux derniers trous, ce fut pénible et raté le temps passé à solliciter l’aide du fiston m’avait grandement ralentie et la fatigue du jour me diminuait physiquement.
Finalement, nous arrivâmes tardivement au soir à installer les caissons sans portes (commandées, elles n’arrivaient que quinze jours plus tard) et je m’empressais de les remplir en réfléchissant bien à l’usage quotidien des divers parties.
Vider ici pour remplir ailleurs induit des changements d’organisation et mon garçon peu coutumier du rangement mit du temps à s’y retrouver alors que j’avais bien remué l’ordre habituel.
Plus tard, je récupérai les portes ravie ; alors que j’étais fatiguée de la journée et des médicaments, j’eus l’envie folle- toujours en tenue appropriée- d’installer la plus petite porte histoire de voir ce que cela donnait.
L ’idée s’avéra malheureuse car je choisis la plus compliquée et ce fut fiston qui s’y colla.
Je pris mon temps ensuite peu à peu et nous y arrivâmes joyeusement.
Je n’ai pas mis les poignées d’origine qui ne me plaisent pas et je tâtonne encore esthétiquement dans la mise en place de boutons variables sur tous les meubles de la cuisine du buffet aux éléments. J’avoue que j’ai du mal avec la régularité et la répétition ; si j’aime à la voir ailleurs, je ne m’y fais pas du tout chez moi. J’envisage des couleurs et des variations mollement, j’attends le déclic, comme d’habitude.
A l’évaluation des volume et espace, inévitablement virevoltants et calculés dans ma caboche, je constatai que des étagères supplémentaires étaient nécessaires à une optimisation du rangement. Je songeais vaguement à acheter des panneaux découpés en mélaminé et puis non, je descendis à la cave couper des restes de planches de l’ancien meuble à couture et à l’aide de taquets supplémentaires, je les installai.
Désormais, j’ai moins de bazar et de déplacements dans mes expériences culinaires. Ma taille me permet d’un marche- pied solide fut une joie ( ENFIN). Certes, l’idée de me retrouver en assise forcée par la maladie me traversa l’esprit avec ces limitations et basta ! Je décidai de ne pas calculer ma vie d’après la maladie et ses caprices maintenant alors que je marche et danse.
Je me tâte sur la suite des aménagements en vue d’harmonisation ; il existe des contraintes telles que l’évier du propriétaire- bailleur trop bas à mon dos douillet (je fais la vaisselle à demi assise sur mes cuisses et mes genoux)... ou mon budget. Je verrai au gré des circonstances quoi qu’il en soit.
Ce récit ordonné ne reflète pas la réalité de la vie mouvementée en ces temps :
- mon fiston- ado était constamment fatigué et occupé ; quand il m’aidait, c’était à vitesse lente et ralentissante,
- le chat souffrait d’une diarrhée persistante au point que je courais à gauche et à droite pour ramasser, nettoyer, soigner, laver,
- au même moment, est revenue la bibliothèque rénovée du salon qui elle également demanda bien des attentions (à suivre).
Je mesure rarement faits et aléas de mes péripéties avec ma caboche de carabosse parce que je suis dans le feu de l’action, que je ne regarde qu’à mon but tout en tâchant de respecter mon corps de toute façon récalcitrant quand je dépasse ses bornes, qu’à peine proche de la fin d’un ouvrage déjà, je réfléchis et prépare le suivant curieuse et débordante avec mes 50 000 idées à l’heure. Ce fut ma voisine coiffeuse qui m’interpella. Elle vient à domicile nous soigner la tignasse et elle remarqua immédiatement les changements de la cuisine. D’un geste négligent de la main, j’expliquai simplement que j’avais installé le tout précisant mes difficultés à maintenir les machines avec mes petits bras pas musclés d’où quelques menus décalages. Elle répéta ma dernière phrase incrédule. Alors là, je compris que j’avais accompli une tâche loin d’être anodine. Parce que non seulement je suis une femme menue et pas musclée mais en plus, je suis invalide à plus de 80% avec une maladie grave. Bé voui.