Une neuro- anatomiste victime d’un accident cérébral raconte ses incroyables découvertes.
Jill Bolte Taylor est brillante : elle a étudié la psychologie physiologique, la biologie humaine, les neurosciences, elle enseigne l’anatomie macroscopique, la neuro- anatomie, l’histologie, elle est chercheur à la faculté de médecine de Harvard sur l’anatomie de l’encéphale. Membre du comité national de la NAMI (Alliance nationale pour la maladie mentale), elle parcourt les Etats- unis afin d’accroître les dons de cerveaux sur lesquels elle travaille, en particulier ceux de malades, portée par la schizophrénie de son frère. C’est une femme très active et sollicitée.
Au matin du 10 décembre 1996, sa vie bascule : accident vasculaire cérébral. Hémorragie due à une malformation congénitale des vaisseaux sanguins irriguant le cerveau. Elle a trente- sept ans. Ce livre raconte son expérience.
Après un cours sérieux sur les particularités du cerveau (que je compte lire et relire vu la complexité du sujet très intéressant), elle raconte la succession des événements de ce matin-là. Etrange écriture décalée. Elle évoque ses sentiments, ses émotions, ses sensations, ses réactions en y juxtaposant son discours analytique de médecin. Récit de la souffrance et la perte progressive de ces capacités, récit de la progression du sang dans les différentes zones et ses conséquences. C’est une écriture à multiples voies et niveaux qui m’interroge grandement sur le plan stylistique, l’effet qu’elle produit. Suivent son cheminement médical, sa prise en charge, les médecins qui la considèrent quasiment comme un tas de viande négligeable ou du moins débile, ceux qui au contraire ont de la considération pour elle malgré son évidente diminution, l’interne stupide obnubilé uniquement par l’intérêt du cas pour sa formation, l’interne respectueux, les soignants sans considération, les attentionnés. Tout le panel des possibilités humaines y passent avec cette particularité terrible de l’hôpital où le patient est diminué, parfois à la merci du personnel. J’y ai noté pareillement quelques caractéristiques du système américain et remercié à nouveau ma chance d’être malade en France où nous avons la Sécurité Sociale. Pauvre et inconnue, aurait- elle eu le même sort ? Certainement pas.
Après son opération réussie, elle raconte comment sa mère est venue habiter avec elle en dévouement total, materner comme elle l’avait déjà fait au début de sa vie. Il lui fallait tout réapprendre, se réapproprier et son corps, et l’espace, son corps dans l’espace, tout, absolument tout. Au bout de sept ans, elle en ressort totalement guérie et transformée. Elle est là, elle- même, complètement différente pourtant parce que son hémorragie a eu lieu dans son hémisphère gauche, le rationnel, le calculateur, le contrôlant, l’individualiste, le critique. Son sang l’ayant fait taire, elle a vécu pleinement son hémisphère droit, l’universel, le fusionnel, le compassionnel, l’artiste, l’émotionnel, le mystique, le bienheureux et pour rien au monde, elle ne voudrait revenir à son mode de fonctionnement antérieur. Elle y a trouvé une joie de vivre et d’être incommensurable. Jouer de la musique, créer, méditer, aimer sans réserve, remercier chacune de ses cellules pour chaque journée offerte dans la vie, être heureux d’être là, ici et maintenant, avoir conscience que nous sommes partie de l’univers tout entier et qu’en mourant, nous lâchons nos particules pour continuer la vie de cet univers…
Cependant, ce ne sont pas ces découvertes –là qui m’apprirent quelque chose, ma propre expérience ayant des conclusions similaires. Si mon intellect se réjouit des connaissances physiologiques mises en parallèle avec celles apprises auprès de mon ami Boris, je suis surtout enthousiaste par les notions de plasticité du cerveau. Les neurones sont là, les connexions se créent au gré des apprentissages surtout dans la petite enfance et nous n’avons absolument pas conscience que nous possédons le pouvoir de générer le cerveau que nous voulons par un travail, une discipline quotidiens non de ces travaux et disciplines rébarbatifs et violents mais bien ceux de la méditation par la présence à ce que nous pensons, vivons et faisons. Quand une pensée négative nous envahit, nous pouvons la corriger en mobilisant d’autres voies neuronales… et plus nous mobilisons ces voies positives, plus elles se transforment en voie privilégiées. Evidemment, certaines atteintes du cerveau sont très lourdes suite à une maladie mentale, à un accident, des malformations, nous ne sommes pas tout puissants, nous pauvres humains mortels pourtant, il existe des cas incroyables comme ceux qui vivent (quasi) normalement avec une partie du cerveau en moins ou encore ceux montrés dans ce documentaire vu sur Arte (cf. article ici).
Par ce livre, se bousculent dans ma tête des idées en pagaille engendrant des liens foudroyants de l’une à l’autre. Mon ami Boris, les méditants, les interlocuteurs croisés dans mon propre parcours, Gilles, Solange, Elodie, les barbares et les humains, une scène du fabuleux destin d’Amélie Poulain reliant cerveau et univers… tant d’autres … et décidément, je n’en reviens pas.
Dans notre boite crânienne réside une merveille de la nature aux possibilités infinies.